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"Ville musée" et tours - Paris selon Dominique Perrault
13/11/2011 |
L'expression "ville musée" revient sempiternellement dans la prose des urbanistes, des architectes, des journalistes et, plus généralement dans les médias, dès lors qu'il s'agit de juger de l'opportunité d'une intervention "contemporaine" dans les tissus anciens existants des villes, européennes pour l'essentiel. L'argument sert actuellement, par exemple, s'agissant de la façade Rivoli de la Samaritaine.
Et bien entendu, lorsqu'on parle de "ville musée", il s'agit forcément de "tonner contre". La ville musée, "ce n'est pas bien". C'est un tissu urbain sclérosé, endormi, conforme, en somme, aux désirs d'immobilité des vieux cons. Ah ! ces vieux cons. Que ferait-on sans eux pour servir de repoussoir ? Etre contre "l'architecture moderne", donc contre les tours, c'est nécessairement être un "vieux" et "con" de surcroît parce qu'il n'a pas suivi le mouvement, celui des "jeunes", ouverts, tournés vers l'avenir, qui aiment ce qui "bouge".
Dominique Perrault, l'architecte de l'abominable Bibliothèque François Mitterrand à Tolbiac, interrogé sur les tours dans Paris intra muros (dont évidemment personne ne veut) s'inquiète de cela. Et ses arguments sont excellents car ils concentrent tout les lieux communs de la propagande du lobby de l'industrie du bâtiment. Nous allons en citer deux ou trois, et vous les traduire. "Il y a, dit -il, une inquiétante diabolisation de la modernité et cela se ressent dans les difficultés qu’on rencontre pour transformer la capitale". Cela veut dire en clair: "il y a des gens qui n'ont pas le même goût que moi, ce que j'ai vraiment du mal à comprendre, mais en plus ils résistent!". En effet, les opposistions, à Paris, restent très vivaces contre le saccage de ce qui subsiste de la beauté de Paris (ce que les industriels et leurs communicants cherchent désepérément à détruire). Du reste, pourquoi "transformer la capitale" ? On n'en voit pas la necessité.
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Londres, une "nouvelle silhouette". Voilà en quoi Perrault veut "transformer" la capitale. En clair, il veut y faire les même dégâts que les bombardements de la seconde guerre monidale sur Berlin. Car non seulement ces gratte-ciels constituent en eux-même une pollution visuelle, mais il faut nécessairement détruire l'ancien pour les mettre à sa place. Or il y a un siècle, Londres ressemblait plutôt à Edimbourg qu'à Durban. Donc il y a bien destruction du beau, du joli, par de l'hideux et du cafard. |
Déçu de la "frilosité" des Parisiens et de ceux qu’il surnomme les "Touche pas à ma ville", Dominique Perrault réfute par ailleurs l’argument de la tour Montparnasse. "Cette tour isolée, au lieu de la détruire, il faudrait en construire d’autres autour, pour constituer une famille. C’est le côté célibataire de la tour qui est détestable." . Vous avez bien lu : il faudrait aussi saccager, voire démolir une partie, par exemple, de la rue de Rennes, pour ajouter d'autres tours. Ce serait mieux avec deux ou trois autres Montparnasse qu'avec une seule. Suivez le raisonnement, inspiré de l'effoyable plan Voisin (a voir sur ici ce site): pour que la laideur ne fasse pas balafre, supprimons ce qui est encore beau. Quand tout est laid, rien ne ressort plus comme spécialement laid, voilà l'astuce ! Drôlement futé ! Ah , et puis la "frilosité". C'est un terme génial. Cela donne vraiment l'impression que nous sommes de pauvres petits vieux, faibles, malades, tremblants, devant tout ce qui "change". Un frileux, c'est vraiment un minable, en somme. Alors qu'un "pas frileux", c'est un intrépide, un type qui fonce, moderne, ouvert, bref, "tourné vers l'avenir".
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Voilà à quoi pourrait ressembler le centre de Paris si on avait laissé faire les Pompidou dans les années 60 et 70, et si on laissait faire les Perrault aujourd'hui. Melbourne, Johannesburg... Ne riez pas ! Ce véritable désastre est précisément ce que préconise Perrault et bien d'autres criminels du béton. |
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Ce qui est bien, dit Dominique Perrault, c'est Londres, par exemple, qui "s’est dotée d’une nouvelle silhouette urbaine [une forêt hideuse de gratte-ciel, NdT] qui traduit sa vitalité autant que celle de sa population. Il n’y a pas de honte à transformer sa ville". Si! il y a une honte à saccager une oeuvre d'art avec du toc et du Kleenex. En effet, Londres est une ville (même s'il reste de très beaux vestiges) largement défigurée, aussi moche que Francfort, aussi nulle que Sydney. "Il est pourtant inéluctable que des immeubles, qui n’ont pas la forme d’un ilot haussmannien, apparaissent un jour dans le paysage parisien", prédit-il. Au secours ! Des choses, dans cette hypothèse, seraient nécessairement démolies. Donc Paris serait plus laid qu'avant, c'est tout. Ces lobbyistes ne renoncent pas à intervenir là où précisément leurs présence est à proscriresans pitié, comme est exclu un coup de cutter en travers de la Joconde.
Comment fonctionne ce raisonnement fumeux ? Il se base essentiellement sur une idée fausse, qui n'est pas évidente à première écoute.
C'est l'idée selon laquelle l'avenue de l'Opéra que vous voyez ci dessus, est un exemple de l'architecture d'il y a 150 ans, la Place des Vosges de celle d'il y a 400 ans, et tout naturellement Perrault, celle de "notre temps". Donc tout est très rassurant, tout est dans la continuité, et le rejet temporaire du modernisme par les "vieux", qui vont bientôt crever, est normal et de tous les temps.
Or cela est totalement faux. Il y a un petit détail qui change tout, c'est ce qui s'est produit, et surtout accéléré, à la fin du XIXème siècle, trois fois rien, une broutille : la révolution industrielle, et par suite la révolution industrielle de l'architecture. Nous n'avons pas la place de détailler ici, mais il suffit de comprendre qu'il n'y a pas de différence d'époque et de style entre Philipbert Delorme et Perrault, mais une différence de nature : art d'un côté, industrie de l'autre. Ou plus concret : Delorme c'est un fauteuil ancien acheté à prix d'or au Louvre des antiquaires, Perrault le fauteuil Roche Bobois pour salle d'attente de dentiste
Il faut le rappeler une fois de plus : l'architecture moderne n'existe pas, ce qui existe est l'industrie de la construction, dominée par de grands groupes de BTP (Eiffage, Bouygues) ou immobilier (Unibail), qui fait appel, pour ses produits, à des designers que l'on continue à appeler architectes par tradition. Ce que l'on appelait "architecte" il y a un siècle n'a aucun rapport avec l'acception actuelle du mot.
Donc, interroger un "architecte", comme la paresse journalistique porte systématiquement à le faire dès lors qu'il s'agit d'architecture, c'est un peu comme interroger un bourreau sur la peine de mort. Demander aux saccageurs ce qu'ils pensent du saccage est une absurdité courante dans ce domaine, à laquelle il faudra bien mettre un terme tôt ou tard. |
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